Erich Fromm, Être ou Avoir

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« Les modes de lecture sont les mêmes s’il s’agit d’un ouvrage à thème philosophique ou historique. La façon dont on lit un livre de ce genre est formée -ou plutôt déformée- par l’éducation. L’école a pour objectif de donner à chaque élève une certaine quantité d’ « avoirs culturels », et à la fin de leur scolarité, de certifier que les élèves ont du moins la quantité minimale. On apprend aux élèves à lire un livre de telle sorte qu’ils soient capables de répéter les pensées essentielle de l’auteur. C’est de cette façon que les étudiants « connaissent », Platon, Aristote, Descartes, Spinoza, Leibniz, Kant, Heidegger, Sartre. La différence entre les différents niveaux d’instruction, du lycée à l’université, repose avant tout sur la quantité d’avoirs culturels qui est acquise et qui correspond en gros à la quantité d’avoirs matériels que l’étudiant est supposé posséder dans sa vie future. Le prétendu bon étudiant est celui qui peut répéter avec le maximum de précision ce que chacun des philosophes avait à dire. Ils ressemblent à un guide de musée bien informé. Ce qu’ils n’apprennent pas , c’est ce qui se situe au-delà de ce type « avoir » de connaissance. Ils n’apprennent pas à interroger les philosophes, à bavarder avec eux ; ils n’apprennent pas à prendre conscience des contradictions de tel philosophe, du fait que d’autres laissent de côté certains problèmes ou éludent leur conséquences ; ils n’apprennent pas à faire la part de ce qui est nouveau et de ce que les auteurs ne pouvaient manquer de penser parce que c’était le « sens commun » de leur époque ; n’apprenant pas à écouter, ils sont incapables de savoir si l’auteur ne parle qu’avec son cerveau ou si son cerveau et son coeur parlent ensemble ; il n’apprenent pas à découvrir si les auteurs sont authentiques ou s’ils bluffent, et bien d’autres choses encore leur échappent. «