Conversation sur l’enseignement de la philosophie à l’université.

IG : En Roumanie on choisit le profil avant de rentrer au lycée. On tient compte des notes de l’examen de capacité (une sorte de Bac soutenu à la fin du cycle gymnasial), pour départager les candidats, dans le cas où il y aurait plus de candidats que les places disponibles pour un profil.
On a le choix entre beaucoup profils, qu’on peut regrouper en deux catégories: une catégorie des profils réels (informatique, mathématiques – physique, chimie – biologie, etc.) et une catégorie des profils humanistes (philologie, histoire de l’art, musique, sciences sociales etc.)
Mais une fois qu’on a fait le choix, les matières pour le profil sont obligatoires. A la fin du lycée, il y a le Bac qui se déroule presque de la même façon qu’en France.
MC : En Angleterre on choisit entre 5 matières, au lycée. Il s’agit d’un système où l’on se spécialise plus dès le lycée, qui permet d’être plus prêt à l’entrée en faculté .
On passe le Bac un an plus tard qu’en France dans certains pays. Il existe même des cas où si on n’est pas prêt on doit faire deux années de préparation avant l’entrée en faculté.
MG : Oui, d’ailleurs n’est-ce pas une cause de la perte d’une année d’un grand nombre d’étudiants, cette entrée dans les études supérieure trop prématurée, qui vont s’engager dans une voie sans être sûr d’eux ?
MC : Et si ce n’était qu’une année…
Le nombre de matières est démultipliée en DEUG (licence 1 et 2), ce qui empêche d’autant plus de s’investir dans un domaine. Le manque de travail à fournir et fournit effectivement les deux premières années, laisse se demander si ce ne sont pas deux années totalement inutiles. Après on s’étonne que le niveau baisse.
IG : Oui, tu as raison. Malheureusement, au lycée on démultiplie trop les matières. Chez nous, même si nous avons le choix d’un profil au lycée, les cours sont trop généraux et ne stimulent pas assez la créativité et la prise d’initiative pour développer la personnalité des jeunes élèves.
Pour éviter cela il faut plus d’heures de philosophie. Ce n’est pas suffisant, une heure de philo par semaine pour le profil réel, et deux heures pour le profil humaniste. Et, en plus, la philosophie est enseignée seulement la dernière année au lycée. Je crois que les jeunes doivent prendre contact plus tôt avec la philosophie au lycée, partout au monde.
MG : L’université devrait garder aussi un objectif de formation de chercheurs et non des maîtres, il y a les ENS et l’IUFM pour ça.
MC : En Angleterre les étudiants sont reçus sur dossier ; Au moins ils ont le niveau pré-requis dès l’entrée à l’université.
IG : En Roumanie, depuis quelques années l’admission à l’université se passe comme en Angleterre mais, une fois admis, il n’y a pas le même système qui suppose le choix d’un tuteur, méthode que j’apprécie et qui aide beaucoup le jeune étudiant en quète d’accomplissement de sa vocation. Pour la formation des maîtres, il y a aussi les écoles doctorales en Roumanie, où nous apprenons, parmi d’autres choses, à diriger des TD qui touchent notre spécialisation.
MG: Ce qui permet d’avoir les bases et d’arriver au niveau, licence-maîtrise, avec une certaine idée des sujets qui nous importent vraiment. Au lieu de se battre à apprendre des choses bêtement sans acquérir une réelle méthode de travail.
MC: En primaire on ne s’attarde pas assez sur les connaissances simples, et on démultiplie trop les matières, un enfant de CM1 connaît le fonctionnement d’un volcan, la différence entre un nerf et un tendon et ne connaît pas sa table de trois !
En outre il va avoir 5 heures de devoirs à faire le week-end, à un âge où on forge sa personnalité par le jeu. Dès la primaire on se disperse trop.
IG : La méthode de travail, c’est aussi un problème, je parle des tactiques utilisées pour mieux fixer les enseignements donnés au cours des années à l’école. Il y a des tactiques spécifiques pour chaque nature d’apprentissage. C’est une chose d’apprendre les matrices, par exemple, et toute une autre chose de faire un commentaire littéraire. Il nous faut des instruments différents, le cerveau se comporte différemment quand nous faisons un calcul mathématique que quand nous écrivons un poème. Les sciences cognitives s’en occupent pour réussir à donner quelques réponses au problème, soutenues par des résultats concrets, palpables.
MG : En philosophie est-ce bien utile d’étudier précisément des domaines comme la linguistique en première et deuxième année ? Alors que c’est en l’approchant avec des outils philosophiques qu’il sera plus simple et utile dans le cadre philosophique de l’aborder.
MC: Oui et même pourquoi ne pas proposer des choix plus pertinents, dans ce qui relève des différentes disciplines philosophiques ? L’université n’est pas faite pour acquérir une culture générale. ( Du moins dans une optique de recherche)
IG : Bon, ici je tends à te donner raison, MG. Il semble que ce ne soit pas le fait d’enseigner la linguistique dès le début, mais plutôt la philosophie du langage, avec un accent sur les différentes méthodes, qui permettent d’aborder les sujets philosophiques. (l’herméneutique, etc.)
MG : Il faut bien découvrir, les divers angles d’approches philosophiques, alors comment faire ?
MC : Déjà s’il y avait moins d’options (imposées et donc qui ne répondent pas forcément à un besoin ou une demande) comme l’informatique, le français, les langues qui dispersent, la première année permettrait peut être plus de saisir l’étendue de la philosophie et dès l’année suivante d’être capable de savoir si on souhaite faire plutôt de l’esthétique, des sciences humaines, de la philosophie politique, de l’épistémologie…
IG : D’une certaine manière cela se passe déjà comme ça en Roumanie (au moins à la Faculté de Philosophie de l’Université de Bucarest). A partir de la troisième année, avant les années de master, on peut choisir entre trois modules : le module de philosophie théorique (avec un accent sur la logique, l’épistémologie), le module de philosophie morale – politique et le module de philosophie de la culture (histoire de la philosophie, l’esthétique).
Développement de la discussion envisageable :
MG :
Que faire alors de cette université libre d’accès, ouverte à tous, que faire de cette notion d’aller à l’université à tout âge pour se cultiver ?
Que penser de cette réforme hybride (LMD) qui tente d’introduire une sélection en contrôlant un peu plus le travail, avec un pseudo contrôle continu, un pseudo système anglo-saxon ? Cette réforme ne complique t’elle pas encore plus les choix? Que faire face à ces personnes passionnées mais qui échouent ?
MC :
Je crois que nous avons une véritable peur de l’élitisme. C’est un vrai problème culturel continental qui oblige les étudiants à suivre un programme imposé.
« Einstein, lui-même, en a souffert (il était le plus nul à Polytechnique !). Si on appliquait le modèle anglo-saxon avec des vrais choix, les élèves seraient plus motivés, les profs aussi et il y aurait de meilleurs résultats. Dans le sens où les gens intéressés ne seraient plus noyés dans la masse. Je crois que la peur de l’eugénisme hitlérien, nous a conduits maintenant à une vraie peur de l’élitisme, alors qu’on ne prend que les meilleurs… D’un autre côté, notre penchant continental nous fait oublier la didactique et ça s’en ressent beaucoup sur l’enseignement. »
IG :
L’idéal pour la faculté de philosophie serait l’ « Académie de Platon » où les gens ne viennent pas pour courir après les notes mais pour rentrer dans un véritable dialogue en vue de dévoiler les intuitions les plus profondes pour les mettre au service de la recherche d’authenticité, de compréhension du monde et de soi-même. Je crois aussi qu’il est nécessaire d’introduire une heure par semaine de pensée libre, sans sujet préalablement établi.
Un sujet pour notre débat pourrait être les différences et les ressemblances entre deux rapports : le rapport enseignant – élève versus le rapport maître – disciple.